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rédaction: Thomas Städtler
decuire v.
[ÉtymologieDu lt. DĒCOQUERE, verbe au champ sémantique large: I° “cuire”, II° “fondre (des métaux)”, III° “digérer”, IV° “réduire (sens culinaire)” et, au fig., “perdre (de l’argent)”, “(se) ruiner” et “affaiblir”, ainsi que V° “éteindre (un feu)” (ThesLL 51,201; pour le mlt., qui connaît en plus le sens fig. de “préparer avec réflexion, mijoter”, cf. MltWb 3,113; LathamDict 1,579c). Bien que decuire soit peu attesté en fr., ce sont les sens I°, III° et IV° qui persistent à l’époque afr., ainsi que le sens II° en mfr., v. ci-dessous. Pour les autres langues romanes, on ne peut citer que l’it. decuocere (dep. 1em. 14es., TLIO ; Battaglia 4,105b). – Le FEW, qui n’a pas d’article decoquere, range decuire “tourmenter” (12es.) sous coquere (FEW 22,1163b), tout comme decuire “cuire (un métal)” (1542 - 1612) et “digérer” (Stœr 1625, ib. 22,1165b), que nous considérons comme provenant directement de dēcoquere. Il n’en est pas de même pour se decuire “perdre les qualités développées par la cuisson (du sirop, etc.)” (dep. OldeSerres), frm. décuit m. “état de ce qui est décuit” (1863 - Lar 1929), decuire v.a. “étendre d’eau (un sirop qui a été trop réduit en cuisant)” (dep. Ac 1694, ib. 22,1163b) et dial. mod. être décuit “ne plus avoir de pain” (ib. 22,1164b), seules acceptions toujours vivantes, et où le verbe est dérivé de → cuire (DEAFpré) avec le préfixe de-. Cp. encore descuit “cru” dans la remarque 2 ci-dessous. – À noter que le p.p. de decuire est près de la forme lt. dans SBernCant (decost) et formé régulièrement à la française dans DialGreg et PrêtreJeand (dequit).
Rem. no 1: Gdf 2,450c donne sous decuire v.n. “cuire” l’att. de SimFreineGeorg 1129: Quant la flambe vint desure, Trestut fist le cors decure. Cette att. est à considérer comme var. de decorir “s’écouler” et est à ranger sous → corir (DEAFpré).
Rem. no 2: Dans RenM XIII 1128-31 on lit: Tot belement et tot sanz haste (Renart) S’en va tant qu’il fu pres de nuit, Un capon manja tot descuit Enmi les chans desoz un teil. La scène se passe dans l’épisode dans lequel Renart vend son bachot à un vilain pour quatre chapons. Li 12,1000b donne pour l’att. en question la remarque: «Dans l’exemple du Renart, des[cuire] a le sens augmentatif, et descuit y signifie “très-cuit”». Il semble cependant peu probable que le paysan ait quatre chapons préparés, prêts pour les donner à Renart, et tout comme Gdf 2,572c, FEW 22,1163b et TLF 6,897a nous y voyons descuit au sens de “cru”, dérivé de → cuire (DEAFpré) avec des- comme préfixe négatif.
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(decuire 4eq. 12es. SBernCantG XII 24 [ind. parf. 3 decost]; OvMorB XV 5419; ChaceOisiiT0 6,14; 10,2; 10,3; etc.36,39; 36,45; 36,48; 36,56; 36,64; 36,69; 36,70; 36,70; 37,8; 78,12, ⁠[dequire](1) DialGregF 5,11 [p.p. dequit]; PrêtreJeandG 307 [p.p. dequit]; CantKiVotH 2186 [ind. prés. 3 dequit]; recette HuntMed 292,228 [ind. prés. 5 dequisez]; RecMédGarryH 30 [ind. prés. 5 dequisés])
  • 1o⁠v.tr. t. de cuis. “mettre au feu, faire cuire” (4eq. 12es.ca. 1320(2), SBernCantG XII 24 [(dans une image) Bieneurouse la pense ke out cure de soi a enrichir et encraissier de le assemblee de telz espeizes, et arrosat de l’oile de mercit et decost de l’ardor de cariteit]; PrêtreJeandG 307 [Assemblent puis le peiver tut Sil funt secher e batre mut Ausi com home fet batre furment, Puis sil quisent estraungement. Nus estrange ne poet pur veir La manere de ceo saveir, Coment le peiver seit dequit]; recette HuntMed 292,228 [dequisez la char en ewe od mel]; RecMédGarryH 30 [Pernez un unce de tym e un autre de epetym e un unce de zené e demy unce de roses. Si dequisés en demy galon de ewe desques le tiers partie seit degasté]; OvMorB XV 5419 [Neuf signes sont, si com moi samble, Qu’Ypocras touche en pronostique… L’uitiesme est, a m’entencion, Quant il a fort decoction Et bien confit ce qu’il menjue, Li contraires quant toute crue Rent la viande sans decuire: Ce li puet damagier et nuire], Gdf 2,450c; TL 2,1264 [renvoi]; ANDEl)
  • ⁠au fig. “affliger de souffrances physiques ou psychiques, tourmenter” (fin 12es., DialGregF 5,11 [mes compains… li queiz moi esgardanz estre dequit de grief dolor del cuer dist: Avint dunkes a toi alcune chose novele, ke dolors toi tient plus ke soloit?], TL 2,1264; Gdf 2,451a; Mts 848b; FEW 22,1166b)
  • 2o⁠v.tr. “faire la digestion de (qch.), digérer” (2et. 14es.Stœr 1625, ChaceOisiiT0 6,14 [Et tel oisel (l’autour et l’épervier), pour ce que la chaleur et ly esperit sont gardé par dedens, decuisent plus fort leur past et engenrent plus chaudes humeurs]; 10,3; 36,45 [Et soient ces chars d’oiseaux ou de bestes de moien age, car telz chars le decuisent bien ou ventre et enfourment le corps]; etc.36,64; 36,69; 36,70; 36,70, DMF; FEW 22,1165b)
  • ⁠emploi abs. “id.”⁠ (2et. 14es., ChaceOisiiT0 36,56 [Ly ravissables tiennent as ongles et despiecent au becq, et ce font il pour ce qu’ilz engloutissent mieulx et decuisent])
  • ⁠emploi abs. “être digéré” [sens passif sous une forme active]⁠ (2et. 14es., ChaceOisiiT0 10,2 [Et ces chars (que la mère de rapace donne aux oisillons) sont d’oiseaulx, et s’elle n’a oiseaulx, elle leur porte chars de bestez a .iiij. piez qu’elle peult prenre, et ses chars eschauffent en sa gorge et despiechent, et encommenchies a decuire, elle les donne a ses poulés]; 36,39 [ces chosez sont dures a decuire]; 36,48; etc.37,8)
  • ⁠inf. subst. “action d’assimiler facilement les aliments, digestion” (2et. 14es., ChaceOisiiT0 78,12 [Et se on luy (au faucon) donnoit tout son past a une fois, il luy nuiroit au decuire pour le mouvement que on fait a porter])
  • 3o⁠v.tr. t. de cuis. “faire prendre plus de consistence (par une cuisson prolongée)” (dans la seule att. afr. dans une image)⁠ (2em. 13es., CantKiVotH 2186 [Mere Virgine enfantay le fiz Deu sanz grevance, En s’amur ma alme remet e defrit sanz ardance, Le seint Esperist la dequit en divine substance, Ke tute est grace divine ke en moy ad demurance], AND [“to consome”]; Mts 848b [“brûler”])
(1) Infinitif non attesté. Nous donnons toutes les formes fléchies.
(2) Hu 2,737a donne sous “cuire” deux att. de 1542 et de 1568, mais dans les passages cités il est question de fondre des métaux.