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rédaction: Marc Kiwitt
favergier v.
[ÉtymologieDu lt. FABRICĀRE “façonner, faire à partir de matières dures (bois, pierre, métal, ivoire)”, par ext. “former, élaborer (dans le domaine des idées)” (ThesLL 61,18; voir aussi ThesLL 61,8 faber; Georges 1,2651). En afr., cet étymon est représenté par forgier et, en particulier dans les scriptae septentrionales et en lorrain, par favergier. FouchéPhon 3,712 explique les formes trisyllabiques comme demi savantes (rem. 1). Cf. aussi ThomasNEss 292-293; CligesF lv. Il semble probable qu’une métathèse du [r] ait permis le maintien de la forme à trois syllabes (sur la métathèse de [r] au contact de [ə] issu de lt. ĭ en syllabe prétonique, favorisée par la proximité d’une consonne labiale, voir Lahti, Métathèse de l’r, Helsinki 1935, p. 36-37; sur l’apparition d’une telle métathèse en pic., norm. et art. voir ibid. p. 45).
Voir aussi → *fabriquer; → fevre; → forgier.
Des cognats de favergier existent dans la plus grande partie de la Romania: occ. fabregar “forger”, “fabriquer” (dep. ca. 1200, Rn 3,247b; Lv3,367a: la forme adauph. favergar est prob. influencé par le frpr. [dérivé dénominal de favergi f. “forge”?]), cat. fargar “forger” (1573, CoromCat 3,840b), aesp. fraucar “construire” (ca. 1090), fraugar “id.” (ca. 1210, Corom2 2,941b), it. fabbricare “forger”, “construire”, “élaborer” (dep. 2em. 13es., Battaglia 5,542a; CortZol 2,411a), rhétorom. favergiar “forger”, “rafistoler” (dep. 1562, DiczRGr 6,170a), roum. fereca “ferrer”, “enchaîner” (dep. ca. 1640, TiktinMir 2,151b). Au sujet du mot en mlt., voir LathamDict 1,884b fabricare.

Rem. no 1: Le rattachement d’une graphie donnée au mot d’emprunt *fabriquer ou au mot plutôt demi savant favergier n’est pas toujours sans équivoque. Nous réunissons ici toutes les formes montrant une spirantisation du [b], une ouverture de la deuxième voyelle, une sonorisation du [k] ou plusieurs de ces phénomènes, et ne traitons sous *fabriquer que les formes conservant l’occlusive bilabiale, une consonne (occlusive ou fricative) non-voisée à la place du [k], ainsi que la voyelle fermée de l’antépénultième de l’étymon.
Rem. no 2: Le rattachement de la loc. verb. favergier sor le dos de qn (qui reprend Bible Ps iuxta LXX 128,3: supra dorsum meum fabricabantur peccatores, v. LathamDict 1,884b 1c) au sens “forger” n’est pas sans équivoque (iuxta hebr. 128/129,3: super cervicem meam arabant; problème des points voyelles en hébreu).
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(⁠wall. lorr. favergier SBernCantG 17,136; 41,111; DialAmeB 11,4 [p.p. m.sg. c.s. favergiz], ⁠s.l. favorgier Prière 1278 RR 19,125,102, ⁠wall. favrejer SBernCantG 29,32 [passé simple 6favrejarent(1)], favregier SBernCantG 6,36 [p.p. f.pl.favregies(2)]; 41,104, ⁠s.l. favrigier AlexisAloS 1018, ⁠francoit. fabregier EntreeT 3871(3), ⁠flandr. pic. lorr. favrechier AlexisAlpS 1168 [= favrakier AlexisAlpH, ms. à vérifier]; GlDouaiR 585; QuatreFilles4L 194, ⁠s.l. favrichier JArkAmP 2,167, ⁠agn. favricher 1em. 12es. PsOxfM 128,3 [passé simple 6favricherent], ⁠s.l. faverquer BibleGuiart Gdf, ⁠pic. faverkier CantLandP 303, ⁠s.l. favrekier AlexParA I 134, 2786 var. mss. H [tourn. ca. 1285, = AlexParhM 77,30]; I [pic. 1289]; K [2em. 13es.]; L [1280]; ViergeLoengeA 106, ⁠lorr. favrequier AnsMetznG 4489, ⁠s.l. favarcher JArkAmP 1,68, ⁠tourn. favarker Ord. Tournay 13es. Gdf)
  • 1o⁠v.tr. “façonner (qch.) en travaillant un métal ou un alliage sur l’enclume et au marteau, généralement à chaud, forger”(4) (4eq. 12es.4eq. 13es.; 1489/1490, SBernCantG 17,136; 41,111 [Nos toi favergerons semblances d’or a divisement d’argent, citation de Ct 1,11]; AlexParhM 77,30 [cf. AlexParA I 134,2786 var. mss. H, I, K, L] [D’un fevres de la vile qui voloit favrekier Sajaites et quarriaus, pour vo gent damagier]; GlDouaiR 585; BibleGuiart Gdf; [reg. 1489-1490 Mém. et Doc. Soc. d'hist. et d'arch. Genève 12,167], TL 3,2097 [forgier]; Gdf 3,738c; FEW 3,343b)
  • “id.” [dans l’image d’un pécheur ‘forgé’ et purifié par les tribulations]⁠ (ca. 1200, DialAmeB 11,4 [De persecutions es favergiz, ki de tote orde de pechi soes espurgiz: tot que tu sofres est esprovemenz])
  • ⁠inf. pris comme subst. “action de façonner des objets métalliques dans une forge” (mil. 14es., JArkAmP 2,167 [li ars de charpenter u de favrichier])
  • ⁠v.intr. “travailler dans une forge” (1ert. 13es.; 13es., AnsMetznG 4489; Ord. Tournay 13es. Gdf [Et ke nus fevres ne orfevres ne favarke dou darrain wigneron de le viespree jusques au wigneron de le matinee], TL 3,2097 [forgier]; Gdf 3,738c; FEW 3,343b)
  • ⁠loc. verb. favergier (de)sor le dos de qn “affliger qn de souffrances physiques ou morales ” [dit de pécheurs tourmentant un juste; cf. Bible Ps iuxta LXX 128,3; → *fabriquer]⁠ (1em. 12es.déb. 14es., PsOxfM 128,3 [Sur mun dos favricherent li peccheur]; SBernCantG 29,32; CantLandP 303 [Sovent m’en dist om grant laidures, E fait choses ki molt sunt dures. Faverkié unt li pecheur Desor men dos a grant sejur]; Prière 1278 RR 19,125,102; QuatreFilles4L 194, TL 3,2098 [forgier: l’att. de PsOxfM est rangée sous le sens “construire”]; Gdf 3,738c [favrechier: l’att. provenant de PsOxfM est rangée sous “forger”]; ANDEl [favricher: déf. à corr.])
  • 2o⁠v.tr. “faire, produire (qch.) par un travail exécuté sur une matière” (4eq. 12es.1em. 14es., SBernCantG 41,104 [ciz mireors … qui favregiez eret de ces pures et beles ymaginations parmi les mains des angeles]; AlexisAloS 1018 [Un sepulcre mut riche fistrent aparilhier Li doi empereor et mut bien entalhier De precioses pierres et d’or cuit favrigier]; EntreeT 3871 [cf. HoltusEntr 321], TL 3,2098 [forgier])
  • ⁠p.p. pris comme adj. “qui a été produit par un travail exécuté sur une matière” (4eq. 12es., SBernCantG 6,36 [oevres favregies et faites de mains d’ome])
  • ⁠v.tr. par ext. “faire naître (qch.)” (13es.; mil. 14es., ViergeLoengeA 106 [Par sovent pekier Voit on favrekier Mort desordenee]; JArkAmP 1,68, TL 3,2097 [forgier]; Gdf 3,738b)
faverge f.
[ÉtymologieLe FEW 3,342b traite ce type comme une var. de → forge. Le GlSuisse 7,697a l’en sépare l’expliquant comme traitement particulier partant d’un déplacement de l’accent sur la voyelle posttonique de lt. FABRICA. Nous le classons avec le verbe favergier, suivant Delbouille BTDial 12,442. Sur l’emploi de faverge comme toponyme cf. BTDial 9,191-193 (wall. 1326 J. de la Favarge, etc.); 11,67-77 (wall. 1348 del favarge, etc.); 12,441-449(5). Le phonétisme des var. favarge, favarce etc. s’explique par l’influence du [r], qui a provoqué l’ouverture de la deuxième voyelle (voir p.ex. L. Wiese, Die Sprache der Dialoge des Papstes Gregor, Halle, 1900, p. 162). Cf. aussi le frpr. favergi (1290, Censier de la Commanderie de Chazelles-sur-Lyon, R 22,12)(6), qui doit être considéré comme un continuateur du lt. fabrica (cf. GlSuisse 7,694b: dès 13es.). – Cp. encore mlt. faverca “forge, smithy” (ca. 1182, LathamDict 1,911b).]
(faverge CligesG 4057 var. ms. S [champ.mérid. ca. 1260], faverrje doc. 1280 Gdf [favrerie], faverche BrutHarl R 87,404, ⁠francoit. farveche AliscmH 3598, ⁠s.l. favarge ca. 1176 CligesG 4057 [ms. P, pic. 1289, = CligesF 4079]; JobGregF 369,9; reg. ca. 1314-1350 BCRHist 106,369; reg. ca. 1343 éd. E. Poncelet, Livre des fiefs de l'Eglise de Liège 314; [reg. 1386 D. v. Deerveghde, Le dom. Val-Saint-Lambert 111; doc. 1444 G. Despy, Terre Jauche 145; 146], fauvarge CligesM 4033 [éd. faunarge, = CligesF 4079var., ms. A fo 69roc, -9 sic, retenu par DÉCT], favarce BrutHarl var. ms. agn. 4eq. 13es. R 87,404, farvake ImpArtB 3111; 3152, fausarge CligesG 4057 var. ms. fin 13es.)
  • 1o“fourneau (ouvert) dans lequel on chauffe des objets en métal pour les travailler à chaud” (ca. 1176; mil. 13es., CligesG 4057 [Et quant les espees resaillent Estanceles ardanz an saillent Ausi come de fer qui fume Que li fevres bat sor l’anclume Quant il le tret de la favarge]; BrutHarl R 87,404 [passage fictionnel], TL 3,2095 [forge]; Gdf 3,736b; BTDial 18,365; FEW 3,342b)
  • ⁠par méton. “atelier où l’on travaille des objets en métal au feu et au marteau” (1280(7)1444, doc. 1280 Gdf [favrerie]; reg. ca. 1314-1350 BCRHist 106,369 [.xvii. verges devant le favarge de Novilhe]; reg. ca. 1343 éd. E. Poncelet, Livre des fiefs de l'Eglise de Liège 314 [dans un nom propre attesté dans un contexte en latin; manque Stein]; AliscmH 3598; [reg. 1386 D. v. Deerveghde, Le dom. Val-Saint-Lambert 111 [le manson delle favarge a Vilencourt et toutes ses apendiches]; doc. 1444 G. Despy, Terre Jauche 145; 146], TL 3,2095 [forge]; Gdf 3,736b; DMF [forge1]; FEW 3,342b)
  • 2o“fabrication, production de qch. par un travail exécuté sur une matière” (fin 12es., JobGregF 369,9 [la favarge d’altrui oevre], Gdf 3,736c)
favergerie f.
[ÉtymologieLes attestations du mot en afrb., traitées ici pour des raisons pratiques, reflètent vraisemblablement un emprunt au frpr. Cf. aussi GlSuisse 7,699b [forgerie].]
  • “travail des métaux sur l’enclume et au marteau” (4eq. 12es.; afrb. 14701490, SBernCantG 36,21 [se tu ne seis l’art de favergerie u de charpenterie]; [reg. Mém. et doc. Soc. d'hist. et d'arch. Genève 12,25 [1470-71]; 12,26 [Item, a Hentzly de Sutz, favre, pour la favargerie de la sepmaine, enclo ung gangillion de fer, .viii. s. .ii. d.(8)]; 12,27; etc.12,29; 12,30; 12,31; 12,32; 12,49 [1471-72]; 12,50; 12,51; 12,52; 12,58; 12,59; 12,69 [1472-73]; 12,70; 12,81 [1473-74]; 12,83; 12,84; 12,90 [1474-75]; 12,91; 12,113 [1475-77]; 12,166 [1489-90]; 12,167])
lorr. favirgement m.
  • “fabrication, production de qch. par un travail exécuté sur une matière” (lorr. fin 12es., SBernAn2S 361,33 [favirgement de l’arche (construction de l’arche de Noé)])
(1) Sur l’extension du thème -a- à la personne 6 dans le Nord-Est voir Buridant p. 255.
(2) Forme wallonne, cf. GossenGram § 8.
(3) Cp. vén. favregar 1313/15, frioul. favria p.parf. mil. 14es., TLIO sous fabbricare.
(4) Voir LexMA 7,1505-8 pour des précisions d’ordre encyclopédique.
(5) Les moyens électroniques en trouvent dans les départements Isère, Haute-Savoie, Haute-Loire, Loire, Allier.
(6) Les données toponymiques et dialectologiques confirment la présence du mot en frpr. (voir RLiR 18,250-251, carte 2, pour les formes de type faverge; cp. aussi SeifertProp 41).
(7) L’attribution des attestations relevées dans des surnoms, 1295-1302 ImpArtB 3111; 3152, à ce sens n’est pas certaine.
(8) Dans toutes les attestations issues de ces regestes, il est question de paiements pour des travaux de forge exécutés entre 1470 et 1490, essentiellement par le forgeron Hentzly de Sutz, dans le cadre de la construction du clocher de l’église de Saint-Nicolas à Fribourg.