DEAFplus
article imprimé Add. & Corr.
rédaction: Kurt Baldinger
gigue f.
[ÉtymologieL’afr. gigue est emprunté à une date relativement tardive à l’aha. tardif GĪGA “espèce de violon à trois cordes” (attesté seulement dans une glose gīga : tricordum du 12es., Althochdeutsche Glossen 4,235,8; KlugeM20; mha. gîge, all. Geige; gīga est dérivé du verbe germ. *geigan (Meringer IF 16,133, d’après Diez/Scheler), anord. geiga “dévier”, aangl. forgœgan “s’écarter de, transgresser (un ordre)” BosTol, all. geigen “mouvoir d’un côté et d’autre, osciller”). Wartburg pense à l’époque carolingienne parce que g- a donné -, argument pourtant peu valable si l’emprunt s’était fait par voie écrite (cp. aussi gible 1803 < all. Giebel FEW 16,35a); il est, en tout cas, probable que le mot a été apporté par des ménestrels; et comme Faral admet que les jongleurs étaient bien intégrés dans la vie médiévale dès le 9es. (Faral, Jongleurs en France au moyen âge, Paris 1910, 16-24; R. Morgan RoPh 7,285) la thèse de Wartburg reste possible (v. aussi Brosman ZrP 88,123), mais un emprunt plus tardif encore n’est pas exclu non plus. (De toute façon il ne peut venir d’un abfrq. *gīga > *gie, FEW; GamGerm2 378 [en contradiction avec Gam2 sub gigot!]: «Fr. gigue stammt daher wohl aus dem Mittelhochdeutschen und ist Ausdruck der mittelalterlichen Gaukler»). Les variantes gige, guigue montrent (outre une influence dialectale possible) une tendance vers la réduplication expressive. En mlt., giga est attesté dans une version latine du roman de Renard (Reinard. Vulpes lib.3 vers. 615, DC 4,66c; v. aussi Niermeyer et Latham qui atteste gigator “ménestrel” dès 1150 en Angleterre; gigare, gigarius Niermeyer). A partir du domaine allemand, gīga/gīge s’est répandu dans d’autres langues germaniques: mba. gîgel f. (avec les dérivés gigelêr “joueur de gigue”, gîgelen “jouer de la gigueSchillerLübben et LaschBorch; prob. l avec la même fonction fréquentative; avec ou sans rapport avec les var. afr. gigle, gigleour, gigler? Golde RF 41/42,26 croit reconnaître dans gigle un suff. dim.), d’où anord. gígja (attesté tardivement, DeVriesAnord2), suéd. giga Hellquist, dan. gige, etc.; mnéerl. gige (au moins deux des trois attestations données par VerVer se trouvent dans des traductions de textes afr.). Dans les langues romanes il s’est répandu prob. grâce à l’influence de la littérature afr.: aocc. gigua seulement chez Giraut de Calanson et, avec le sens de “air, chant” chez Deudes de Prades (Rn 3,466b; la note de Wartburg FEW 16,41bn33 disant que les attestations manquent en aocc. est à corriger); it. giga (seulement dep. le début du 14es.: suon di gighe e ciunfonie, et Dante Paradiso 14,118; giga e arpa…, fa dolce tintinno, Battaglia), aesp. giga (dep. Berceo Corom 2,726a), aport. giga (une seule attestation, Lorenzo). De l’afr. ou de l’agn. il a de même passé en anglais: mangl. gige (attesté seulement en 1450, MED; mais gigour “joueur de gigue” dès ca. 1225 et comme surnom ou nom de métier fréquemment à partir de 1212 (Gillebertus le Gigur), 1235 (Petr. le Gygur), 1279 (Walterus le Gygur), etc., jusqu’en 1433 (William Gygur), MED; gigen “to make a creaking sound” (to gyge 1425, MED). Un rapport de angl. jig s. “a lively, rapid, springy kind of dance” (dep. ca. 1560, OED) et jig v. “to sing or play as a jig, or in the style of a jig” etc. (dep. 1588, OED) avec l’afr. gigue est peu probable, vu la difficulté chronologique; un emprunt de giguer “gambader, folâtrer” (v. ci-dessous) (> jig v. > jig s.) serait possible (le frm. gigue “air de danse, danse très vive” dep. 1650 est emprunté à l’angl., Höfler). La gigue, «instrument moins perfectionné que n’était la vielle, et qui, pour être joué passablement, demandait moins d’habileté; aussi était-il entre les mains des ménestrels et jongleurs les plus ordinaires» (ViolletMob 2,274 avec dessin), disparaît des textes vers la fin du 13es. (Henry, dans CleomH 2,p. 711, ajoute que «Machault parlera encore de la gingue», mais il ne donne pas de référence). – FEW 16,35b; REW 3757; BW5; Fryklund, Etymologische Studien über Geige – gigue – jig, StMS 6, 1917, 102f.; Levy ZrP 35,494; Braune ZrP 42,139n; Gennrich ZrP 59,237; Brosman, French giguer, ginguer, ZrP 88, 1972, 119-125; Dick 89; Gérold, Histoire de la musique des origines à la fin du XIVe siècle, Paris 1936, p. 385; ViolletMob 2,273; Schultz 1,555.]
(gigue ThebesR; BenTroieC; ErecF; HermVal Gdf [correspond à HermValS 5489]; PhilomB; AimeriD; BibleGuiotW; DurmG; DolopB; CoincyII21H 265 [= gygue CoincyII21K 265]; OiselP; HAndH 176 [= HAndBatP 176]; AlexisAlS 141; AtreW; MontRayn I 5; I 8; MahomL 775; YonM; RosemLangl 21030 [= RosemLec 21000]; CleomH, gighe 1155 BrutL 3769 [mais seulement dans le ms. J daté 1292; v. BrutA 3702var.]; doc. flandr. 1277 [v. CleomH 2,p. 711]; MaccabeS, gige 2eq. 12es. GrantMalS2 95; AlexParlM 218; ChardryDormK; YderG 6747; SermOyezT 1369; DolopB 129var.; HArciPèresO 3459; 1285 CleomH 2,p. 711 [var. ms. O 7249], gygue HermValS 5489, gyge HermValMa 5571 [correspond à HermValS 5489]; JugAmO 168,32; CleomH 2,p. 711 [var. ms. O 17284], guigue ca. 1200 DoonRocheM 4559; mil. 13es. JoufrF 1163, gigle ErecF 2045 var. ms. A [pic. fin 13es.]; fin 12es. ChevCygneNaissT 350; RenBeaujBelW 3957; AucR2 33,8; HuonR 4954; 6525; 7383; 7700; CoincyII21K 265var. ms. D [13es. picardisant]; GilChinR 310, gygle RigomerF 14407, ghigle ChevCygneNaissT 350var., gigne RosemLangl 21030var. ms. Ce [sûrement erreur pour gigue])
  • “instrument à cordes frottées avec un archet (plus petit que la vielle), habituellement monté de trois cordes, attachées au corps piriforme de l’instrument, le manche n’étant que le prolongement de la table d’harmonie” (2eq. 12es.1285, GrantMalS2 95 [En l’un (= ciel) ad concorde: Gige manacorde, Harpe, siphonie; En l’altre (= enfer) s’escrïent E l’ore maldïent Qu’il sunt tant en vie]; BrutL 3769 add. du ms. J daté 1292 (v. BrutA 3702var.) [De gighe sot, de simphonie, Si savoit assés d’armonie]; ThebesR 480 (ThebesC 2,p. 57 mss. C mil. 13es. et B fin 14es.) [Meinte gigue, meinte viele, Harpes, salterions et rotes]; BenTroieC 14781 [Iluec par ot si grant delit Que gigue, harpe e simphonie, Rote, viele e armonie, Sautier, cimbales, timpanon, Monocorde, lire, coron, Iço sont li doze estrument. – Tant par les sone doucement Que l’armonie esperital, Ne li coron celestial, N’est a oïr si delitable: Tot semble chose esperitable]; ErecF 2045 (cp. ErecR 1992giguer) [Cil sers de harpe, cil de rote, Cil de gigue, cil de viele]; 6383 = ErecR 6331); HermValS 5489 [De harpes et de gygues i ont joie menee, correspond à HermValMa 5571]; PhilomB 199 [Plus an sot qu’an ne porroit dire Et de la gigue et de la rote; “violon à 8 cordes” gloss. faute d’impression pour 3]; AlexParlM 218 [D’estrumens li aprisent, tymbre et harpe a soner, De rote et de viele et de gige canter]; ChevCygneNaissT 350 [Sonent gigles, viieles et font grant melodie]; RenBeaujBelW 3957 [Ainc n’oïstes plus douce note Ne de gigle ne de viele]; AimeriD 4455 [Et mainte harpe, mainte gigue sonnee]; AucR2 33,8 (= AucS 33,8) [harpe, gigle ne viole]; ChardryDormK 1651 [Cil porte gige, cil simphonie]; DoonRocheM 4559 [Cil meine guigue et rote]; JugAmO 168,32; YderG 6747 [Des giges (e) des psalterïons]; AtreW 6643 [Cantent et sonent lor vieles, Muses, harpes et orcanons, Timpanes et salterions, Gigues, estives et frestiaus, Et buisines et calemiaus]; BibleGuiotW 209 [En harpe, en viele et en gigue En devroit en certes conter]; HuonR 4954 [Harpe ne gigle n’est tele a escouter; même contexte aux vers 6525; 7700; rote ne… 7383]; YonM 639 [Harpes et gigues et jugleors chantant]; DurmG 15077; DolopB 991 [Gigues et harpes et vieles, Muses, fleüstes et fresteles, Tymbres, tabors et syphonies]; 3734; CoincyII21H 265 (= CoincyII21K 265) [De psaltere, d’orgue(s) et de gigue Ne prise pas Diex une figue]; OiselP 93 [= BarbMéon III,117]; HAndH 176 (= HAndBatP 176; DC 4,66c) [Portoient gigues et vieles]; GilChinR 310 [Giglez et harpez et vielez; interprété par erreur comme verbe par Gdf, v. TL]; SermOyezT 1369 [Harpe, gige, rote E la duce note]; JoufrF 1163 [Harpes, sauters, guigues et rotes]; RigomerF 14407 [Gygles et harpes et vieles, Flahutes, rotes et freteles, Timbres, buisines et tabors]; HArciPèresO 3459; AlexisAlS 141 (= AlexisAlH 154) [Gigues soneir en halt]; MahomL 775 [Mainte vïele deliteuse I aportent li jouglëour… Harpes, gigues et cyfonies Sonnent et canchons envoisies, le gloss. définit à tort “gigue (danse)”]; MontRayn I 5 [Sez tu nule riens de citole, Ne de viele ne de gigue? Tu ne sez vaillant une figue; texte 2em. 13es.]; I 8; RosemLangl 21030 (= RosemLec 21000) [Harpes a, gigues e rubebes]; doc. flandr. 1277 [2 manestreus alemans ki juerent en une gighe; cité par A. Henry dans CleomH 2,p. 711]; CleomH 7249 [harpes, rotes, gigues, violes]; 17284 [harpes et gigues et canons]; MaccabeS 2598 [Li cant des harpes et des gighes Furent tenues por cevilles], Gdf 4,278a; TL 4,316; DC 4,66c; FEW 16,35b; TLF 9,243a; Stone 336a)
giguer, gigler v.n.
[ÉtymologieNe remonte guère directement au verbe germanique (mha. gîgen “jouer du violon”) ni à son antécédent aha. non attesté; comme le verbe, en fr., est tardif et plutôt rare, il s’agit sans doute d’un dérivé de gigue en afr. Pour gigler, la relation générique va peut-être dans le sens inverse (giglergigle) puisque le l s’explique plus facilement en partant du verbe (fréquentatif); il est vrai, pourtant, que le subst. gigle est plus fréquent que le verbe gigler; on retrouve la forme avec -l- en mba., v. ci-dessus.]
(giguer ErecR 1992 [ms. C écrit vers 1220]; NarbS 2426 [l’éd. suit le ms. A mil. 13es.], gigler RenBeaujBelW2 2890 [le seul ms. conservé, écrit dans la seconde moitié du 13es., donne gigles au lieu de gigle 3ep.sg. indic.])
  • 1o“jouer de la gigue (ca. 1170déb. 13es., ErecR 1992 [Li uns sifle, li autres chante, Cil flaüte, cil chalemele, Cil gigue, li autres vïele; cp. ErecF 2045]; ca. 1200 RenBeaujBelW2 2890 [L’un voit as fenestres harper, L’autre delés celui roter; L’uns estive, l’autre vïele, Li autres gigle et calimele Et cante cler comme serainne]; déb. 13es. NarbS 2426 [Giguent et harpent, vïeles font soner], TL 4,316; Gdf 4,277c [où il faut supprimer GilChin, v. TL; → gigue]; FEW 16,35b [afr. gigler ca. 1200-1250 qu’il faut corriger en ca. 1200]; UllandInstr p. 72)
  • 2o“gambader, folâtrer” ([4eq. 13es.] ms. 1erq. 14es., MannuelPéchF 3529 [Ki en les rues vet iuant (var. vunt gigelant), Home ou femme sei demustrant, Si ceo fet pur estre desiré, En sun qeor ad ia peché], Stone 336a; [Gdf 4,278b (14es.), TL 4,318 (14es.) et FEW 16,36b (14es.-15es.) se réfèrent tous à une attestation dans Troilus qui date du déb. du 15es.; guyguer n’est attesté qu’en 1490 dans MistSGenisM 3434 [Regarde que le cueur ly guygue Je croi bien qu’il (le martyre déjà torturé) vouldroit dancer]; ginguer (gingant “vif (des yeux)”) en 1490 dans AmantCordM 1546, FEW 16,37b, et frm. ginguer “ruer (d’une bête)” etc. seulement en 1694 (prob. transformé de giguer d’après regimber FEW 4,132a), cp. → giber et FEW gib-; la chronologie ne permet pas de ramener giguer/ginguer à l’aha. du 9e ou 10es., comme le voudrait Brosman, ZrP 88,125.])
giguëour m.
(⁠agn. gigur ca. 1240 GuiWarE, [1212 – 1433 comme nom de personne, v. ci-dessus le commentaire étymologique], ⁠flandr. giguëour 1285 CleomH, gigheour CleomH var. ms. O, guigueor CleomH var. ms. J)
  • “joueur de gigue (ca. 12401285, GuiWarE 7544 [Bons arpeurs e vielurs, Roturs, gigurs e tympanurs, De totes maneres i out jugleurs]; CleomH 2888 [O lui avoit quintarieurs Et si avoit bons leüteurs, Et des flaüteurs de Behaigne, Et des giguëours d’Alemaigne, Et flaütëours a deus dois; v. CleomH 2,p. 711; BartschChrest 71,128], TL 4,318; Gdf 4,278b; FEW 16,35b)
gigot m.
[ÉtymologieRem.: ViandTaillP 47 (GdfC 9,699a) qui correspondrait à la date ca. 1390, induit en erreur; le passage cité se trouve ViandTaillP, éd. 19967, 145 (Pastés de gigos de mouton), à dater ca. 1490 (version imprimée); ajoutez ib. 172 (Pastés de gigotz de mouton. Prenés le gigot et le lardés…). Le fait que gigue “instrument de musique” disparaît des textes vers 1300 et que gigot manque dans les livres de cuisine jusqu’en 1490 constitue une difficulté d’y voir un dérivé de gigue par métaphore, (à cause de la forme de la gigue ressemblant à un gigot, Wartburg FEW 16,40b et n34; BW5), mais le dessin d’une gigue d’après une vignette d’un ms. de ca. 1410 (ViolletMob 2,274) rend cette métaphore fort plausible et la date du ms. diminue la valeur de l’argument chronologique. Le suffixe -ot d’après cuissot “morceau de la cuisse dans le chvreuil, le sanglier” (dep. ca. 1393, FEW 2,1261a). Gygos pl. “cuisses, fesses (d’une femme)” (prob. fin 15es. [Quant suis au lit, je n’ay point d’asseurance, Car, quant se vient que dois prendre mon somme, Incontinent, sans faire demeurance, A mes gygos en (des puces) vient une grant somme Procès des Femmes et des Pulces, MontRoth 10,63; R 65,22] s’explique à son tour comme un emploi métaphorique de gigot “cuisse de mouton”.]
  • 1o“cuisse de mouton découpée pour être rôtie” (dep. 15es., FEW 16,35b [v. la remarque ci-dessus])
  • 2o“pièce de monnaie (en Flandre) de petite valeur, liard (valant 3 deniers ou 6 mites)” [Blanchet et Dieudonné, Manuel de numismatique française IV, Paris 1936, 197; R 65,21]⁠ (2e.15es.2em. 15es.; 4eq15es., ChronPBasS 505 [seront prins aultres .II. deniers gigots… avec le denier qui y est sera prinse une gigot tournois]; MolinetFaictzD 786 [Se vous allés voir les fillettes, Appoinctiés gigos ou maillettes; ne baillés jamés sur le tard Ung flourin au lieu d’ung patard]; 892 [les doublettes revenront en cours, mais les gigos seront jugiés au feu ; R 65,21 avec faux renvoi], Gdf 4,277c [le second ex. de Gdf se rattache à 1°: Chanson éd. 1616 (A ma bource a un gigot “de quoi payer un gigot” P.L. Jacob [Paul Lacroix], Vaux-de-Vire…, Paris 1858, p. 257]; FEW 16,35b [le rapport étymologique avec gigot “cuisse” ne semble pourtant pas assuré])