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article imprimé Add. & Corr.
rédaction: Thomas Städtler
guignier1 v.
[ÉtymologieDe l’abfrq. *WINGJAN “faire signe” (bien appuyé par l’all. winken “id.”, dep. déb. 8es., Köbler 1273a) qui a été romanisé sous forme de *gwingyare, d’où, par dissimilation consonantique, *gwinyare qui correspond aux formes fr. On est en droit de supposer *wingjan à côté de *winkjan comme résultat d’une alternance consonantique en abfrq., cp. outre *wink- et *wing-, *wenk- et *weng-, all. schwenken et schwingen (Brüch ZrP 36,490; FEW 17,593a). Cette étymologie que l’on peut considérer comme acceptée généralement (cp. TLF, Rob 1986) a été mise en question par plusieurs auteurs: Corominas, avec des arguments peu convaincants, propose une origine onomatopéique («se trata de creaciones expresivas» Corom2 3,270a). BarbierProc2 282 rattache guignier au lt. CŬNEARE, ce qui est peu satisfaisant pour des raisons sémantiques. (L’argument de Wartburg, selon lequel cette étymologie ne saurait expliquer les formes en w-, est de peu de valeur puisqu’il n’y en a pas: afr. wingnier (FEW 17,589a) est à ranger sub → guignier2 [< aangl. HWÍNAN], de même que wallon. wignî “guigner” (ib.), tiré de Grandgagnage et qui repris dans Haust, Dict. liégeois 710a, avec la déf. “grincer, gémir, crisser, glapir”). Dernièrement, Susanne Höfer RoJb 35,61 a rétabli le lien avec lt. VĪDĒRE, proposé jadis par Ménage. Elle suggère une succession des formes vīdēre > *vĭdĭniare > *vĭ-ĭniare > *vīniare > guignier. On notera cependant que dans la grande famille gallorom. continuant vĭdēre (FEW 14,420b ss.) il n’y a aucune forme avec gu- initial. – Au fr. sont empruntés it. ghignare et var. dial.: cat. guinyar; esp. guiñar; port. guinar, cf. le FEW. – FEW 17,593a.
Rem.: Les grands dictionnaires (FEW, TL, TLF, Rob 1986) donnent comme première att. de guignier LancF 269 (Et li uns l’autre an guinge et bote), où il s’agit cependant d’une conjecture signalée par Foerster dans ses notes: «Ich habe aus den Lesarten guignier “zwinkern, blinzeln, hinschielen” herausgeschält» (p. 365). Les mss. portent an cingne, engigne, encluine. Quoique la corr. fasse un bon texte, nous renonçons à cette première att. hypothétique. – Gdf 3,184c et FEW 17,592b donnent enguigner “faire signe de l’œil”, tiré de AthisH 13424var., où l’on lira plutôt en guigne et an guigne: entrées à supprimer. – A rattacher à cette famille déb. 15es. guinaie f. “action de faire signe de l’œil” Laurent de Premierfait, éd. Hauvette, p. 85, cf. ib. n.2; R 33,106; TL 4,789 [«ein bei Laurent de Premierfait begegnendes Wort»].
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(guignier SEustPrM XIII 15; CoincyII32K 169; RoselLec 3908; BrutA 8593var.; JoufrF 56; AuberiT 47,27; RenHermiteM 108; PhNovMémK LXXIII 68; YsLyonF 1699; PartonG 10622var.; YsiiB XXI 43; XXI 62; etc.etc.AthisH 13424var., guigner DrouartB 4158; 4316; GlParR 1751; GlConchesR 1751; [mfr. MenagB 87,15], guingner BoivProvpN 238; DrouartB 4266; 4617; 4624; YsChB XIX 34, guinier BibleMalkS 3335; SThibAlH II 342; [GlBNhébr1243 LevyContr 503], guiner JGarl Parisiana Poetria éd. Lawler IV 461, guinner SimPouilleaB 55, gignier av. 1188 PartonG 10622; ContPerc1tR 4266; Bueve2S 5446; [mfr. FroissBallB 69,6], giingnier SEustPrM XIII 15 var. ms. 2em. 13es., giinier GlBNhébr302L 191,86)
  • 1o⁠v.a. “faire signe de l’œil à (qn)” (13es.ca. 1320, SimPouilleaB 55 [Et quant Simonz l’entent, totz li sancs li fremist; Met la main a l’espeie: volunter l’en ferist; Mes Jofrois lo guinna que encor se tenist Que ne feïst tel chose que lor mesavenist]; PhNovMémK LXXIII 68; YsLyonF 1699 (= éd. B XXXVI 13); DrouartB 4158; 4266; 4316; 4617; OvMorB III 2355 [L’une partie de la route Me guigna qu’a destre lessasse Et devers senestre voeillasse], TL 4,774; FEW 17,589a)
  • guignier de l’ueil “id.”⁠ (av. 1188; 3et. 14es., PartonG 10622 [Tant la redot et tant la crien Et tant a son lige me tien A son servise sens orguel, Que s’ele me gignot del l’uel (var. ms. fin 13es. Que s’el me guigne sol de l’ueil) Que je die l’ystoire avant, Faire m’estovra son commant]; [mfr. FroissBallB 69,6 [je le voel d’un de mes yeux gignier]], GdfC 9,737a [“regarder à la dérobée”]; FEW 17,589a)
  • guignier (à qn) “faire signe (de l’œil?) (à qn)” (2eq. 13es.ca. 1300, BrutA 8593var. [Mult li ad ris e mult clunied, var. ms. 2eq. 13es. guignié]; AuberiT 47,27 [‘Dame, dist il, il (l’ostel) est ici devant Chiés .i. preudome c’on apele Hermant.’ Ele li guigne, il s’en torna a tant]; AthisH 13424var. [v. la remarque ci-dessus]; YsiiB XXI 43 [Et puis leur a guignié La ou il est mucié, Mais pas ne l’entendirent. Outre s’en sont passé], TL 4,773 [l’att. Auberi sub intr. “blinzeln, jem. zublinzeln”])
  • guignier l’ueil (à qn) “faire signe (de l’œil) (à qn)” (mil. 14es., BoivProvpN 238 [(Mabile croit pouvoir duper Boivin) G’en eüsse eü grant avoir Pour le sien pucelage avoir, Mes vous l’aurez, car je le voeil. – A Ysanne en a guingné l’euil Que sa bourse li soit coupee])
  • guignier de la main (à qn) “faire signe de la main (à qn)” (ca. 1330, ProprChosMirK XLIX 120 [La dame de la main li guigne Qu’il aproche d’eulz et pres vigne])
  • guignier (de qn) “id.” (pour se moquer de qn ou de qch.)⁠ (ca. 1220; ca. 1227, JGarl Parisiana Poetria éd. Lawler IV 461; CoincyII32K 169 [Mais assez voy moignes et clers Qui tant sont vain et pereceuz Qu’adez se taisent, et de ceuz Qui bien s’esforcent vont guignant Et par cha derriere esquignant], TL 4,773 [intr.]; FEW 17,589a [v.n.])
  • ⁠v. pron. récipr. soi guignier “se faire signe de l’œil l’un à l’autre” (1290, DrouartB 4624 [Quant il seront priveement, Si se guingnent hardiement, Et tieus signes comme il vorront, Em privé lieu faire porront])
  • ⁠v.pron. soi guignier “faire des grimaces de l’œil (pour se moquer)” (mil. 13es., JoufrF 56 [Mais plus s’entendent en trichier Les dames et li chevalier Que il ne firent unques mes; S’en est li segles plus mauvés. Quant la fause le faus engigne, Et cil d’Amor se gabe et guigne, Et dit, fause Amors l’a traï, Lecoy R 94,556 “se moquer, se railler”], TL 4,773; FEW 17,589a)
  • 2o⁠v.n. “faire signe (de l’œil)” (av. 120016es., ContPerc1tR 4266 [Si avoit tot son pensé mis A l’amour la bele Guinier Si qu’il n’osoit vers li gignier]; Bueve2S 5446; SEustPrM XIII 15 [li barbarins guignoit e feisoit signes a ses notoniers qu’il le gitassent en la mer, = HenryChrest 17,11]; RoselLec 3908 [= BartschHorning 412,15]; RenHermiteM 108; YsiiB XXI 62 [Encuser me cuidas Quant ti guignas em bas, Si feïs mesprison]; GlParR 1751; GlConchesR 1751; [mfr. TroilusM 156], TL 4,773; Gdf 4,383a; GdfC 9,737a; FEW 17,589a)
  • ⁠substantivé “le fait de faire signe (de l’œil)” (3et. 13es.ca. 1300, BibleMalkS 3335 [Sus ma maignie sires seras, Et mes puepples obeiera A ton guinier, a ton esgart]; SThibAlH II 342 [Je redote d’aler contre la volenté De Dé par cui guinier tu as l’enfermeté]; YsChB XIX 34, DiStefLoc 420c)
  • ⁠v.n. “faire des grimaces (de l’œil)” (1316; 1393, FauvelChaillL 1380 [Abstinence point ne s’aourse, Mes va courir de droite ligne A Gloutonnie, qui qu’enguigne (l. qu’en guigne), Va si ferir a descouvert Qu’elle li a l’espaule ouvert]; [mfr. MenagB 87,15], TL 4,773; FEW 17,589b)
guignart m.
  • “signe (fait de l’œil)” (ca. 1300, YsChB XIX 14 [Li Chaceur au Bouvier demande Quel par est li Lous en la lande. Cil li dit que devers senestre, Mes de l’uieil li fist le guignart Que li Lous est de l’autre part Repost tout droit vers la main destre], TL 4,772; 4,1923 [BestAmOctT 3249 est tiré d’un impr. 16es.]; Gdf 4,383a, Ruelle R 101,369)
guignau m.
  • faire de guignau “détourner son regard” (ca. 1300, SottChansValL XXX 8 [Je ne le (la dame) seuç onques tant aplakier Ke me vosist escouter, Ainz fait adiés, quant le doi aparler, De guignau, avec note p. 139], TL 4,772; FEW 17,591a, cp. guingal adj. ci-dessous)
guingal adj. ?
[ÉtymologieL’explication de ce mot fait difficulté. Le contexte de la seule att. fait allusion à la scène de RenM II 346ss., où Chantecler, le coq, chante les yeux fermés et donne ainsi à Renart la possibilité de le saisir par le cou et de l’emporter: Lors let aler sa meloudie Les oilz cligniez par grant aïr. Lors ne volt plus Renars soffrir. Par de desoz un roge chol Le prent Renars parmi le col, Fuiant s’en va. Cette situation est évoquée dans AlexParH I 2351 / 2 dans scène guerrière: Mes li Greu les engignent com Renars fist le jal Qu’il seisi par la guele quant il chantoit jornal, var. clinal; clignal; gringal, gringnal; ms. 1em. 14es. Qui s’en ist par la porte quant chante le guingal. Note de l’éd.: «The word clinal… has the value of les oilz cligniez of RRen… This clinal, which is used adverbially in a meaning “les yeux fermés”, has not been elsewhere recorded… Other -al formations are usually adjectives or nouns, but an adverbial use of clinal may have been suggested by the use of mal (adj. and noun) as an adverb; cf. also the triple use (adj., noun, adverb) of such words as voir “vrai”» (p. 334). Si l’on considère la var. chante le guingal comme une construction syntaxique parallèle et guingal comme un adj., il faut comprendre “il chante comme celui qui a les yeux fermés”. A expliquer la formation du mot en -al, en général seulement dérivation dénominale (ou – exclu ici – emprunt du lt.). Moins prob.: interpréter guingal comme subst. au sens de “sorte de chant” avec rattachement à la famille de mfr. gringot “id.”, d’origine inconnue (FEW 21,221b).]
  • “qui a les yeux fermés” (1em. 14es., AlexParA I 2352var. [v. contexte ci-dessus], Gdf 4,387a [s.m. “?”], cp. guignau m. ci-dessus)
guignance f.
(guignance mil. 14es. GlParR 1752, guinance mil. 14es. GlConchR 1752)
  • “action de faire signe de l’œil (p.-ê. comme expression de connivence)” (mil. 14es., GlParR 1752 [conniventia: guignance]; GlConchR 1752, FEW 17,590b)
guignement m.
(guignement OvArtPrR 485 [c.r. -mens]; 487 [id.]; 1622 [id.]; 1626 [id.]; GlBNhébr302L 168,55 [jiney-]; GlBNhébr301 LevyContr 503 [guiney-]; GlLeipzigA PS 10,10 [jiney-]; DrouartB 4321; BibleMalkS 3339; 3444; YsChB XIX 19; OvMorB VII 1168; [mfr. AalmaR 8218], guinement SThibAlM 927; BibleMalkS 7757 [c.s. -mens], gignement GarMonglMü 2455 var. ms. déb. 14es.)
  • “action de faire signe (de l’œil)” (1ert. 13es.Pom 1715, OvArtPrR 485 [Gardes, se tu pues parler a lui, que tu ne lui faces signes ne guignemens]; 487; 1622; 1626 [Parles moult de choses avec les sourcis et les yeux, c’est a dire fay lui divers semblans et guignemens et admirations]; GlBNhébr302L 168,55; GlBNhébr301 LevyContr 503; GlLeipzigA PS 10,10; DrouartB 4321; SThibAlM 927; BibleMalkS 3339; 3444; 7757; YsChB XIX 19; GarMonglMü 2455 var.; OvMorB VII 1168 [C’est cil qui par son guignement Fait tout trambler le firmament]; [mfr. AalmaR 8218 [nutus, -us: volentés, consentemens ou signes fais de l’oiel, guignemens]], TL 4,772; Gdf 4,383a; FEW 17,590b)
guignoire f.
(g[u]i[g]nuere 1279 GlParmePald LevyRech 503)
  • “action de faire signe (de l’œil)” (1279, GlParmePald LevyRech 503, TL 4,775; FEW 17,590b; 17,591b; LevyContr 503 [l’identification avec guignoëre (v. sub → guigne1) est erronée])
guignos adj.
(guingneuse sg.f. 1290 DrouartB 4962)
  • “qui est enclin à tromper” (1290, DrouartB 4962 [S’il avient qu’il l’acole ou baise. Ou autrement avec li s’aise. S’il la trueve plus anuieuse Qu’il ne soloit et plus guingneuse, Ou se cele laidengier l’ose… Autre amie li covient querre, traduit lt. taediosus, cp. mfr. enguygneur adj. “trompeur” etc., FEW 17,592b])
guignilier v.n.
(⁠agn. gweniller BibbO après 1098 v. 13; après 1098 v. 26, ⁠agn. guenyler NominaleS 175)
  • “faire signe (de l’œil)” (agn. déb. 14es.; 14es., NominaleS 175 [Homme d’oile guenyle, glose mangl.: M with ee starith]; BibbO après 1098 v. 13; après 1098 v. 26 [Mais gweniller un autre entent, glose mangl.: twncleth], Stone 345b; FEW 21,328b; BaldEt 992)
entreguignier v.pron.
(entreguignier RosemS 19505, antreguignier RosemLec 19471)
  • “se faire réciproquement signe de l’œil” (ca. 1275, RosemLec 19471 [Et cil sa chartre leur desploie Et sa main antour soi tournoie Et fet signe et dit qu’il se tesent; Et cil, qui ses paroles plesent, S’antreguignent (= éd. S 19505 s’entreguignent) et s’antreboutent. Atant s’apesent, si escoutent], TL 4,774 [sub guignier]; Gdf 3,287c; FEW 17,592b)
reguignier v.
(reguignier YsiiB XXI 70, reguingnier YvainF 647var., reguinier ca. 1170 RouH I 587)
  • 1o⁠v.n. “faire signe de l’œil dans un deuxième temps” (ca. 1300, YsiiB XXI 70 [Qui proumet a la gent Ou bonté ou argent Que faire ne vuelt mie, Emprés reguigne en bas Que l’an nel face pas, Il fait grant vilounie], Ruelle R 101,499; [Gdf 6,751a [renvoi à reschignier 7,85c, où reguignier n’est pas repris]])
  • 2o⁠v.a. reguignier denz “faire des grimaces en faisant voir les dents” (ca. 1170, RouH I 587 [Les bras estent, les poinz detort, Cescun quil voit dist qu’il soit mort; Qui oïst le felon crier Et le veïst escaucherrer, Denz reguinier, braz degeter, Jambes estendre et recorber])
  • ⁠v.pron. soi reguignier “faire des grimaces (en faisant voir les dents)” (13es., YvainF 647var. [Ne vuel pas sanbler le gaignon Qui se herice et regrigne (éd. regringne à corr., v. DEAF G 1401,35; var. mss. 13es. reguingne, = éd. R se reguingne) Quant autre mastins le rechinge], TL 8,644)
guigne m.