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rédaction: Sabine Tittel
jarri m.
[ÉtymologieCet article réunit un ensemble de mots, basés sur prérom. *CARRA + -ĪCU / -ĪCA et dérivés, qui désignent soit plusieurs arbres ou arbustes de la famille de Quercus et des Ilicacées, soit une terre inculte (où croissent ou peuvent croître ces arbres ou arbustes). Les plantes désignées sont à identifier avec le chêne vert (Quercus ilex) qui croissent dans la région de la Méditerranée et avec le houx (Ilex aquifolium) qui croît dans tout l’ouest de l’Europe. Le point commun de ces désignations se manifeste dans les feuilles aiguës et crénelées (plus coriaces chez le houx; à piquants plus ou moins durs). Cf. Marzell 2,978ss. (Ilex a.); 3,1210 (Quercus cocc.); 3,1211 (Quercus i.). (Pour la plupart des att. la distinction du sens de houx et de celui de “chêne…” n’est pas possible.) L’étymologie de ces mots est très discutée. On a retenu finalement prérom. *CARRA “pierre” (FEW 21,409b; RohlfsSprachgeogr 99,n295*karra ‘Stein’ bleibt sehr problematisch»]; Rohlfs RLiR 7,151; Hubschmid, Mediterrane Substrate, 1960, p. 41(1)). Nous rattachons quatre types: jarri m., jarrie f., jarris m. (et les dérivés qui en partent, v. ci-dessous). Jarri remonte à prérom. *GARRĪCU, cp. aocc. garric m. “chêne kermès” (dès 1177, DAO 476,5-1; “bois de chêne”, dès ca. 1448, DAO 478,4-1; DAOSuppl; v. aussi ALF 265 ‘chêne’). La chute de -c final est attestée en occ.sept. [cp. aocc. politric “variété de fougère” (ca. 1350, DAO 1003,3-1) à côté de aocc. politri (ib., dans un contexte lt.; v. LRL 5,2,94a)] et elle est régulière en fr. – Jarrie, feḿinin collectif qui désigne les terres qui ne sont pas cultivées (dans des toponymes), semble remonter à un collectif gallorom. *GARRĪCA; cp. mlt. garricae pl. “taillis de chêne, terre inculte” (dès ca. 817, Niermeyer 862a; DC 4,37a; BambeckWortst 24; BambeckBoden 11; aussi garricus “terre inculte”, dès 1319 DC 4,37b) et aocc. agasc. garriga “lande où il ne croît que des chênes [verts et kermès]” (aocc. dès ca. 1120, DAO 201,6-1; agasc. dès 1179; DAG 201,6-1; DAOSuppl). – Le type en -is s’explique comme formation romane: jarris remonte à gallorom. *GARRĪCIUS; pour le suffixe lt. -īcius qui exprime l’endroit ou le collectif, v. Nyrop III § 268ss. La racine prérom. *carr- survit aussi dans le domaine iberorom.: cat. garric-, garriga et carrasca “chêne vert” (dès fin 12es. / déb-13es., le dernier dès 1234, CoromCat 4,390b), esp. carrasca “(petit) chêne vert” (Corom2 1,891b), port. id. “sorte d’olivier” (Morais10 2,956a)(2) et galic. carrabouxa, -o “chêne” (A. Estravís, Dicionário da língua galega, 1986, 1,626a). – FEW 21,411b; RohlfsSprachgeogr 99n295; Hubschmid dans Mediterrane Substrate, 1960, 41 dans Sard. Studien, 1953, 93-94; BambeckBoden 11. FEW 21,411b et Hubschmid dans Sard. Studien, 1953, 96 y rattachent aussi des correspondants dans des dial. it. formés sur *carr-, *carrilio-, etc. Selon Hubschmid dans Mediterrane Substrate, 1960, 41, prérom. *carr- se manifeste aussi dans basq. artakarro “chêne” mais cp. l’étymologie dans Löpelmann 1,104.
Rem.: Noter en frpr. jarris, GirRossDécH 7276, comme désignation de nos arbres et jarrie f., GirRossDécH 8493 [Ele u est? En cel bos, suz ca jarrie], comme désignation de terres qui ne sont pas cultivées, attesté en fr. seulement comme toponyme (manque PfisterGir). – Frm. garrigue f. “terrain aride à sous-sol calcaire de la région méditerranéenne”, “végétation broussailleuse qui couvre ce terrain, emprunt à occ. garriga, est attesté en fr. depuis le 16es. (Rab; DuBellay; etc., v. Hu 4,273b); v. aussi MorletFam 446a (nom de famille). – Dans ContPerc2lR 23151 on lit Ainz iert la terre ja roeuse; CorleyCont1 p. 205 propose de corriger ja roeuse en jaro[n]euse pour expliquer le ‘curieux’ ja. Un *jaroneuse n’existe pas; ja signifie ici “effectivement” et ne pose pas de problème, v. → ja, 6o; pourtant roeuse reste à expliquer. – Noter mfr. jarriaie f. et jarril m. dans ce 1485 ArmArgM 1005-1009, contexte donnant les informations encyclopéd.: Il y a en armoirie jarril qui est un rameau de chesne, et y a du tronc, de la feille et le glan, et en armoirie se apelle jarril. A ce propos il y a des maisons nommees la jarriaie, et des boais nommez les jarriaies, qui vault autant a dire, comme qui diroit, la chesnaie regacee, car jarril est chesne ragaz. – Pour jarron “grosse branche d’arbre, rondin (pouvant servir entre de gourdin ou pour faire du charbon et du feu”, v. sous → jarret.
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(⁠pic. Ouest jarri 4eq. 12es. TristBérG 1260; FlorenceW 6280, ⁠agn. jarit ChGuillM 3213, ⁠pic. garri MonRaincB 5662var., gaci(3) MonRaincB 5662var., gasci MonRaincB 5662)
  • “arbre ou arbuste de la famille des Quercus ou des Ilicacées, soit le chêne kermès ou le chêne vert, soit le houx” (1erq. 13es., FlorenceW 6280 [je chaçoie par mi un gaut foilli, La trovai une dame pendant a un jarri, Sanglente et desiree]; ChGuillM 3213, TL 4,1589 [sous jarris: à distinguer]; AND 368a; FEW 21,409b [dial. mod.]; ALF 265)
  • ⁠par méton. “bois de jarri (comme matériau)” (2em. 13es., MonRaincB 5662 [Mairefers ot un tinel de gasci (var. gaci, garri, jarris) gros et quarré, s’avoit fichié par mi broches de fer])
  • ⁠par méton. “bâton de bois de jarri (4eq. 12es., TristBérG 1260 [Governal est venuz au cri, En sa main tint un vert jarri Et fiert Yvain], TL 4,1589,26 [sous jarris: à distinguer])
jarrie f.
[ÉtymologieNous considérons jarrige comme var. poit. de jarrie, cf. FEW 21,409b.]
(jarrie doc. orl. 1315 Gdf, ⁠poit. jarrige doc. 1310 DC)
  • ⁠comme nom de lieu-dit ou nom de lieu habité “terre qui n’est pas cultivée, où croissent ou peuvent croître des jarris (dep. 1310, doc. poit. 1310 [Derrechef avons assis ausdis religieus tout le pavage de Charros… (= Charroux, Vienne(4)) excepté le paage de las Fons et de la Jarrige DC]; doc. orl. 1315 [La Jarrie Gdf], Gdf 4,237b [sous garrigue: noms de lieu mod. en Poitou(5)]; 4,637b [att. saint. bourg. hdauph.](6); DC 4,280c; TL 4,1589 [renvoi à Gdf]; FEW 21,409b; DictNatComm 568)
jarris m.
(jarris fin 12es. JerusH 1390 (= JerusT 1607var.); JLansonM 2677; GaydonG 5648var.; AntiocheD 3051 var. ms. mil. 13es.; MonRaincB 5662 var. ms. 2em. 13es., jarriz ContPerc1aR 4798; ContPerc1m/qR 14454, jariz CptRoyM 15680, jaurris GaydonG 5648, ⁠pic. garris AucR3 19,13, garis ContPerc1pR 4598var.; AntiocheD 3051 var. ms. fin 13es.)
  • “arbre ou arbuste de la famille des Quercus ou des Ilicacées, soit le chêne kermès ou le chêne vert, soit le houx” (fin 12es.1314, JLansonM 2677; CptRoyM 15680; AntiocheD 3051 [A une grant estace l’aresna desgarnis (var. ms. fin 13es. l’a. d’an garis; ms. mil. 13es. l’atacha d’un jarris, = P IV 192, avec note err.) Li destriers jete et hue et fait grant pestelis], TL 4,1589(7); Gdf 4,637b [ne distingue pas les différents sens]; FEW 21,409b)
  • ⁠par méton. “bois de jarris (comme matériau)” (fin 12es.ca. 1232, JerusH 1390 [Puis a saisi la lanche, la hanste ert de jarris, = JerusT 1607var.]; MonRaincB 5662 var. [contexte cité ci-dessous sub jarri]; ContPerc1pR 4598var.; ContPerc1m/qR 14454; AucR3 19,13 [Ele prist des flors de lis Et de l’erbe, du garris Et de le foille autresi, Une bele loge en fist(8)]; GaydonG 5648, TL 4,1589; Gdf 4,637b [v. ci-dessus]; FEW 21,409b)
  • ⁠par méton. “bâton de bois de jarris (av. 1200, ContPerc1aR 4798 [Li sires estoit molt marriz, Fort et reont tint un jarriz Bien anpoignié dedanz sa main])
jarrier m.
[ÉtymologieDér. avec lt. -ĀRIUS, suffixe formateur de noms d’arbres.]
  • “arbre ou arbuste de la famille des Quercus ou des Ilicacées, soit le chêne kermès ou le chêne vert, soit le houx” (mil. 13es., PriseOrdR 731 [Desos ces tor cheverons ou gravier, Tant i verrois estoiles (= asteles) de jarrier, Lou feu grijois en la laigne fichier, ms. pic.(9)])
jarrois m.
[ÉtymologieDér. de la base jarr- au moyen de lt. -ĒTUM.]
(jarrois PriseOrdR 898, jarrais JerusH 8472, garois AyeG 2416, ⁠agn. garreis ThebessM 8816)
  • “arbre ou arbuste de la famille des Quercus ou des Ilicacées, soit le chêne kermès ou le chêne vert, soit le houx” (JerusH 8472 [Les vers elmes d’achier lor ont trenchiés et frais, Que mors les trebucherent par deles i jarrais(10)])
  • ⁠par méton. “bois de jarrois (comme matériau)” (ca. 1200fin 14es., AyeG 2416 [Il tenoit en sa main .i. baston de garois]; PriseOrdR 898 [lou palais maginois… A sanc petris fut fais tos li batois; Il n’et cheville de fust ne de jarrois]; [ThebessM 8816 (= ThebesC app. I 8314)], TL 4,196 [garrois]; Gdf 4,236c [garois “le chêne rouvre”])
jarriois m.
[ÉtymologieDér. de jarri- avec lt. -ĒTUM.]
(jarriois déb. 13es. GirVianeE 854, jarrioi GirVianeE 854 var. ms. 13es., jaryot CptRoyM 12349 [lire -oi?(11)], jariai GirVianeE 854 var. ms. 1em. 14es.)
  • “terrain couvert de jarris, bois de jarris (déb. 13es.1326, GirVianeE 854 [En la Sorvale avoit larrons norriz, El jarriois qui est desoz Sanliz; N’i pasoit hom qui de mere fust vis Que meintenant ne fust ou mort o pris]; CptRoyM 12349 [pour un jaryot couppé par ses ouvriers(12)])
jarriaz m.
[ÉtymologieDér. de jarri- au moyen de -ĀCIU, suffixe à valeur collective, cp. → haraz1, H 177,8.]
  • “terrain couvert de jarris, bois de jarris (ms. 13es., GirVianeE 854 [El jarriois qui est desoz Sanliz, var. El jarriaz qui est desor saint liz; v. le contexte cité sous jarriois])
jarribois m.
[ÉtymologieComposé de jarri- et de → bois.]
  • ⁠comme nom de lieu ou lieu-dit “terrain couvert de jarris, bois de jarris (lorr. 1235, WaillyCollLorr 21,10,10 [li abbés et li covans ont l’une moitié de toz les bois et de jarribois en toz us et je et mi hoir ont l’autre moitié])
(1) Dans Sard. Studien, 1953, p. 97, Hubschmid avait donné comme base préromane des noms des plantes *karr- / *kerr- “chêne”, base qu’il distinguait de prérom. *karri- / *kerr- “pierre”.
(2) REW3 36906 n’attache pas esp. port. carrasca à jarri.
(3) Le son à expliquer.
(4) Le mot survit comme nom de famille, v. MorletFam 536a, cp. jarrige, v. ci-dessous.
(5) Survit aussi comme nom de famille, v. MorletFam 536a.
(6) Pour l’att. dans GirRoss, v. la rem. ci-dessus.
(7) L’att. de jarri, FlorenceW 6280, est mal placée sous jarris. AucR3 19,13 est à ranger sous “bois… ”
(8) G. Paris R 8,291 propose de comprendre garris “lande” (à cause de erbe), W. Conner RoR 46,82 d’interpréter garris comme une erreur du scribe pour larris. Vu le contexte il nous semble raisonnable de comprendre erbe comme un matériau à part, et une virgule après erbe lève le problème du sens de garris.
(9) Cp. le nom de commune bearn. Lucgarier, v. V. Lespy, P. Raymond, Dict. béarn. ancien et mod., 21970, 328b, cité dans FEW 21,410a («abearn. garrier, “bois taillis”»; ib. aussi dial. mod.).
(10) L’att. est citée à tort par TL 4,99,40 sous garait et reprise ici par → garait1, G 133,39: à corr.
(11) Il ne semble exister aucun diminutif en -ot d’une désignation d’arbre. Dans le contexte, il s’agit d’une amende pour un arbre coupé en fraude… 41 s. (cp. 12339: chêne pris en méfait 45 s.). Le montant semble plus approprié pour un jarriois coupé que pour un *“petit chêne vert”.